» Nous ne nous développons pas avec le lait maternel (ou le lait tout court) mais avec l’échange et l’interaction sociale. « 

Nils Tavernier

Les recherches de René Spitz, dans les années 1940, ont été les premières à montrer de façon systémique que les interactions sociales avec les autres humains sont essentielles au développement d’un enfant.

Bien sûr, la façon la plus claire de mettre en évidence l’importance de certaines stimulations sensorielles ou sociales pour le développement normal d’un enfant serait de le priver de ces stimulations et d’observer les carences qui surgissent.

Bien entendu, il est totalement impensable de procéder de la sorte ; cela reviendrait à sacrifier des cobayes sur l’autel de « l’hospitalisme« .

La science ok mais pas touche à l’enfance !

Toutefois, dans certaines situations de vie, que certains qualifieraient d’accidentelles, des privations surviennent.

C’est le cas des enfants abandonnés à eux-mêmes dans la nature ou encore des « enfants placards » tels qu’on les appelle avec, il faut le reconnaitre, beaucoup de poésie…

Afin de démontrer à quel point le fait de  » Donner le biberon et Changer les couches  » était, certes nécessaire à la survie du nourrisson, mais insuffisant au développement de l’enfant, Spitz a suivi au cours de plusieurs années deux groupes de nouveau-nés. Le premier d’un orphelinat où 26 bébés étaient plus ou moins coupés du monde dans leur berceau et où une seule infirmière devait s’occuper de 7 enfants ; et le second, placé également dans un orphelinat mais situé dans une prison où les mères, bien que prisonnières, pouvaient prodiguer chaque jour à leur enfant soins et affection et où les enfants pouvaient observer leurs petits camarades de chambrée et le personnel durant la journée.

Sans rentrer dans le détail des résultats de l’étude (pour ceux qui voudraient approfondir la question passionnante des effets du toucher sur notre psyché, le site de l’Université McGill devrait vous nourrir bien mieux qu’un sachet de frites surgelées McCain – pardon pour la vanne, j’avais pas mieux), on peut simplement dire que, si à l’âge de 4 mois les états de développement des « petits » étaient comparables, les choses se corsent ensuite : Dès la première année, les performances motrices et intellectuelles des enfants de l’orphelinat avaient pris un grand retard comparativement à celles des enfants de la prison. Ils se montraient moins curieux, moins enjoués et étaient également plus sujets aux infections. Lors de la 2ème et 3ème année, seuls 2 bambini (sur les 26) de l’orphelinat étaient capables de marcher et de bredouiller quelques mots, là où les enfants élevés par leur mère dans la prison avaient des comportements similaires à ceux observés chez des bambins élevés dans un foyer  » normal  » (pour autant que la normalité existe mais … autre question, autre thème).

Depuis cette étude pionnière, de nombreux autres travaux ont montré que tous les soins prodigués aux enfants ne peuvent compenser la privation sensorielle et sociale, ces enfants demeurent souvent muets et sont incapables d’apprendre à parler et à avoir des comportements sociaux harmonieux. Il semblerait même qu’ils tomberaient plus souvent malades … On appelle cela l’Hospitalisme en psychologie (un jour un mot ! Ne nous remerciez pas c’est cadeau ! ) ou de la dégradation de l’état d’un nourrisson lorsqu’il est placé en état de carence d’interaction.

Cet Hospitalisme a bien entendu des effets au long court, lorsque le syndrome de Peter Pan avalé, on devient un adulte affectueusement carencé. L’humanisme se transforme alors en manque d’hospitalité ce qui engendrerait également – par effet de répétitions et de renforcement – des impacts sur la santé.

En effet, une étude, menée par une équipe de chercheurs américains de l’Université Carnegie Mellon à Pittsburgh, a révélé que “ l’on est moins enrhumé, moins touché par la grippe et tous ces petits virus qui s’attrapent en hiver, lorsque l’on est touché, câliné ”.

La grippe ! Encore ?

Mais alors ?

Depuis des mois on joue au  » pas de bras, pas de corona  » sur un rythme de  » You can’t touch this  » pour ne pas se contaminer … On ne s’agrippe plus pour, mutuellement et à juste titre, nous protéger mais … avec quel effet secondaire à ce traitement du « pas touche à maman »?

Puisqu’on a le temps de creuser en étant confinés, notons que le neurologue américain Shekhar Raman a établi en 2017 qu’un câlin, une tape dans le dos et même une poignée de main amicale sont traités par le centre de récompense du système nerveux central Ce serait, selon lui,

 » la raison pour laquelle ils peuvent avoir un impact puissant sur la psyché humaine, nous faisant ressentir du bonheur et de la joie ”.

Tout cela serait du à l’ocytocine que permet de libérer un câlin.

Câlin

Ce mot aussi régressif qu’une madeleine … si inaccessible dans les temps modernes qui nous ont placés au régime augmentant considérablement notre consommation de chocolat. Faut bien compenser pour ne pas décompenser et supporter tout ça.

Chez Forme Libre ça nous a un peu mis la puce à l’oreille cette question … alors on a un peu cherché, lu, bouquiné, potassé le sujet et, on s’est rendu compte, qu’on n’était pas tout(e/s) seul(e/s) à ressentir un certain manque à ne plus pouvoir serrer fort, toucher, chatouiller, caresser, masser, saisir, effleurer, câliner ceux et celles qu’on aime d’Amor.

Emmanuelle Ringot en a même fait un article dans le Marie Claire d’octobre et on se retrouve tout pile dans ces lignes:

« Si le fait de ne plus devoir faire la bise à tout-va me convient très bien, celui de ne plus faire de câlins à ceux que j’aime et avec qui je ne partage pas mon toit, me manque. Beaucoup. Alors pour compenser, on se pince parfois les bras, fort. On s’effleure le dos. Mais évidemment, rien n’y fait. »

De la tendresse bordel !

Charlotte Jacquemot, chercheuse au CNRS au département d’études cognitives, explique qu’à ce jour, il est difficile de savoir quel sera l’impact des  » gestes barrières « , de la «  distanciation sociale  » ; en bref de ce  » vivre sans câlin  » ambiant et ce confinement d’autant que d’autres facteurs comme la peur de l’enfermement peuvent renforcer certains comportements.

Il n’en demeure pas moins que nous avons des envies de sucre totalement déraisonnables et que, même si nous tentons de les justifier par autant de  » petites douceurs  » que nous nous autorisons, il semblerait (d’après les nutritionnistes d’instagram) que nous mangions nos émotions et que nous devrions (toujours d’après les experts instagram) remplacer cette tendance par de la méditation avant de ne plus pouvoir rentrer dans nos pantalons.

OK. Mais chez Forme Libre notre métier c’est la médiation, et on constate bien que le niveau d’agressivité dans les foyers est en constante augmentation. Beaucoup semblent avoir cliqué et dévissé. On se traite de cons dans les supermarchés et on n’en viendrait même à se bousculer pour ne surtout pas se toucher !

Alors on n’ira pas jusqu’à dire qu’on glisse tous tout doucement vers une expression et une explosion de dépressions anaclitiques ( mot numéro 2 du jour … vachement dur à dire, on en convient, mais à placer lors du prochain diner à 6 ) parce que ce serait un peu exagéré et fort de café mais lorsqu’on a lu que  » c’est par extrapolation du symptôme de dépendance de l’enfant envers sa mère que la dépression anaclitique de l’adulte a été définie  » on a encore eu envie de creuser ( ils ont fermé les librairies, avant qu’on ait pu acheter le dernier Marc Levy … du coup faut bien s’occuper )

Et mine de rien on a trouvé pas mal de trucs intéressants qui nous ont permis de mieux comprendre le copain un peu border qui semble avoir lâché la rampe de la bonne humeur !

Wikipedia dit  » Plus largement, on retrouve des symptômes et des ramifications communes entre dépression anaclitique et états limites, notamment chez les personnes dites « borderline » qui développent un comportement oscillant entre dépression et agression lorsqu’elles n’ont pas l’impression de contrôler leur objet de dépendance (…) Chez les personnes borderline, on a pu observer plusieurs sensations intrinsèquement liées à l’état limite anaclitique : sensation de solitude, d’isolement ; sentiment de futilité ; exigences agressives, pressantes ;
manque d’espoir, relative apathie ; style de vie « automatique, mécanique », ou à l’inverse hyperactivité pour remplir le vide. « 

Voila.

Et tout ça à cause du manque d’interaction sociale et d’affection.

Nils avait donc raison  » Nous nous nourrissons des gens qui font écho en nous, de ces interactions  » Et c’est vrai que papoter avec lui d’humanité et des gens dont il a tiré le portrait nous a fait du bien.

Du coup chez Forme Libre on a décidé d’intensifier notre rythme d’écriture, histoire de vous raconter de belles histoires, d’échanger encore et encore , pour éviter de broyer du noir.

De la tendresse à votre adresse.

Mais si ca ne suffit pas à vous combler et que vous ressentez un besoin criant d’échanger … alors n’hésitez-pas à vous adresser à nous. C’est notre métier premier après tout que celui d’écouter.

Bisous & Câlinous.

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