Des évènements récents sont venus m’interroger sur notre rapport au temps.
Celui qui passe. Celui qu’il nous reste. Celui que l’on prend.
Celui que l’on donne, offre.
Celui que l’on se donne, s’octroie.
Le temps nécessaire, le temps perdu, le bon moment, le mauvais timing.
Je vois le temps qui file, défile, je me vois vieillir, prendre une ride, puis deux, puis trois ; c’est la vie.
Je vois mon frère acheter une maison, construire. Je vois mes amis se marier, avoir des enfants, Solal a déjà deux ans … je ne m’en remets pas, il n’est déjà plus un bébé mais un petit garçon et il dit tata.
Cela fait déjà un an que j’ai pris la décision de quitter Paris, que je suis ici. Un an que je change de vie, prend un virage à 180, que je rencontre, m’installe, prends mes marques, tout est passé si vite et en même temps … j’ai toujours ce sentiment que tout est lent, tourne au ralenti.
Des relents de mon ancienne vie me servent constamment des » T’en es où de tes projets Mélanie ? » » Toujours pas mariée ? Ahhh faut dire que toi et l’engagement n’ont jamais fait bon ménage aussi ! » …
Faut dire surtout que … non je vais être désagréable, mon karma !
Tout autour de moi, j’observe des gens « occupés » , « busy busy » qui « n’ont pas le temps » , qui « doivent » parce que « il faut » , des gens qui courent parce que le temps presse.
Je ne juge pas, d’autant que souvent je fais pareil, je me bute à vivre des trucs de folie car quand on vit fort et vite on a le sentiment d’être en vie et d’avoir des grandes choses à dire, des choses qu’on ne dit pas à demi…
Je constate seulement que l’on s’efforce et force pour sûrement se prouver qu’on trime, se montrer qu’on est légitime … mais tout ça n’est en réalité bien souvent que de la frime. On se gausse de ne pas avoir le temps pour se montrer important.
Nous avons tous le sentiment de savoir ce qu’il nous faut, ce qui est bien, bon et nous nous appliquons à les obtenir, les réaliser. Nous courons après. On fait tout à la va-vite, on passe mais on ne s’arrête pas … on veut tout, tout de suite.
Et pour justifier tout cela, qu’on ne s’inquiète pas, les dadas de la réussite outre-Atlantique nous ont servi tout un tas de règles de discipline dont on peut user à la volée et s’envelopper en fonction de la vie et de ce dont on a besoin, des mantras pour se rassurer qu’on est dans le vrai et sur le bon chemin.
« Try, Fail & fail again & fail better » ;
« Live fast because times flies »
…
Coup dans la carotide.
Direct.
« Mais Mel pourquoi vivre à 50 km/h quand ton compteur affiche jusqu’à 160 ? La vie est courte, tu sais ! »
…
Marrakech, vol direct !
Et le temps s’arrête…
Je me suis autoprescrit de partir pour respirer. Péter un coup. Faire une pause et voir le vide, ce qu’il me fait dans mon dedans. Retrouver mon propre rythme, conjuguer ma temporalité au présent. Faire le ménage. Reposer mon corps et mes méninges. Peser les choses, les mots, retrouver la justesse, un peu d’à-propos. Paresser pour y voir plus clair et ne pas dire et faire des choses en l’air. Cesser d’écouter ce qui se dit à droite à gauche, ce que viennent me dire les gens, pour mieux m’écouter. Prendre le temps de perdre mon temps pour mieux aller de l’avant.
Alors voilà, je vous écris du Maroc. De cette ville où un thé ne se refuse pas et où on se remercie toujours pour le temps offert, donné, partagé. Cette ville où l’on ne se contente pas de « passer » mais où l’on s’arrête, vraiment, avec présence et engagement.
Je vous écris d’un riad qui sent l’ambre musquée ;
Je vous écris d’un jardin qui sent la fleur d’oranger ;
Je vous écris d’un taxi où j’ai retrouvé quelqu’un sorti tout droit du passé ;
Je vous écris de la kasbah où les barrières et les murs en moi sont tombés ;
Je vous écris d’un désert où j’ai vu émue cette petite sœur offerte par la vie prendre de la vitesse, sa confiance, son élan ;
Je vous écris d’un souk où Aziz a pris ma main pour mettre de l’ordre dans mes racines et mes sentiments ;
Je vous écris de l’Afrique où l’authentique et la pudeur sont l’élégance du cœur ;
Je vous écris d’un hammam où le savon noir a eu raison de nos peaux mortes et où la vapeur nous a enveloppées de douceur ;
Je vous écris d’une mosquée où anciens, jeunes, femmes et hommes expriment leurs vœux pour l’avenir dans un murmure, presque sans le dire ;
Je vous écris … éblouie par tant d’humanité … de tolérance, de clairvoyance, de conscience.
Et je vous écris aussi des ailes d’un avion d’où nous nous élevons sans faire de bruit.
Retour à la » vraie vie « .
Les mêmes qu’avant mais avec une nouvelle énergie.
Partir pour mieux revenir.
Je dis nous parce que je suis partie pour ce voyage avec pour seule bagage ma Marie, mon petit beurre, qui me dit :
» Ce qui me marque c’est que c’est doux et en même temps ça vibre, c’est vivant, c’est plein de rythme, de dynamisme et que tout se conjugue ici au présent, tout se fait pas à pas ».
Elle a tout compris. C’est pour cette sensibilité là que je l’aime tant, ma Marie. Et c’est pour cette énergie complexe faite de paradoxes que je l’aime autant ma Marrakech peu orthodoxe. C’est ce dont j’avais besoin, ce que je suis venue chercher, retrouver.
Et là-bas quelque chose m’a interpellée : le souvenir. Le pouvoir de la mémoire. Il ne m’a pas fallu plus de 5 minutes sur le sol terracota pour que tout me revienne. Je me suis souvenue de tout. La route, les chemins, les noms, les expressions, les odeurs, les saveurs, même les mots dans la langue locale. Incroyable.
Est-ce à dire que quand quelque chose compte, nous émeut, il s’inscrit dans notre mémoire, quelque part, qu’il ne disparait pas, que l’on n’oublie jamais, que c’est simplement là, encore et toujours, juste rangé et que ça revient en temps et en heure, au bon moment ?
Les émotions me sont revenues aussi. Il faut dire que j’en ai vécu des choses ici. J’ai parcouru le désert et l’Atlas, vu Tanger la blanche et Chefchaouen la bleue, les Oudayas et le Pont de dieu. Alors deux ans tout pile après ma dernière visite, je fais le bilan, calmement … Ne dit-on pas qu’il faut se libérer du passé pour avancer ? Prendre conscience que l’activité d’avant est terminée pour s’engager dans une autre ? Plonger, Pleinement.
Antonio Machado a écrit:
« Voyageurs, il n’y a pas de chemin,
les chemins ne se font qu’en marchant. »
» Tu es entre deux, tu hésites, tu boites, tu doutes parce que tu laisses trop parler ta tête et fais trop taire ton cœur. Laisse aller tes pas, ils te montreront comment faire, quand il convient d’avancer, et quand il convient de ne pas bouger, quand il convient de se rapprocher et quand il convient de reculer. Sois attentive à chacun de tes pas. Poursuivre son chemin c’est vivre au présent. Fais un nouveau pas chaque jour, courageusement, totalement. Souviens toi que dans le désert, il n’y a pas de chemin, chez les berbères on s’oriente avec un stylo planté dans le sol, en observant l’ombre donnée par le soleil. Tiens toi tranquille, observe. N’écoutes pas les voix autour, l’avis des autres c’est la vie des autres, fais confiance à ton instinct. C’est ton don. Celui que tu as reçu de tes racines nomades, il t’appartient. En faisant cela tu trouveras toujours le chemin qui te convient, la place où tu dois être. Inch’Allah «
Des mots qui sonnent et raisonnent. En général, nous marchons pour aller quelque part plutôt que de marcher pour sentir chacun de nos pas sur le sol. Nous avons besoin d’une motivation pour entreprendre une action au lieu de l’entreprendre pour elle-même en la laissant nous mener à bon port. Nous ne faisons volontiers les choses que si elles correspondent aux idées préconçues que l’on a du résultat. Nous bousculons tout : nous, les choses, les autres en laissant derrière nous une impression de froid. Un courant d’air. Nous recherchons la destination et négligeons le voyage.
Mais alors … combien de choses, de rêves se trouvent gâcher à vivre tout juste pour s’évader ? Combien d’entre nous sommes lancés sur l’autoroute et loupent les sorties, manquent les surprises de la vie, ratent les connexions, les synchronicités ? Les pas de côtés qui nous permettent de respirer ? De reprendre notre souffle et d’ouvrir les yeux ? De remarquer ? De prendre conscience de ce qui est déjà là, juste à coté, de s’arrêter et de l’apprécier ?
Je crois qu’en Occident nous avons peur du temps. Nous avons peur du vide, de l’oubli, alors on s’étourdit pour laisser sa marque à tout prix. Nous sommes des esprits affamés, des singes sauvages, des hamsters en cage, des mendiants de l’amour… Sans nous en rendre compte nous menons une bataille avec le temps et nous cherchons à le contrôler en anticipant l’après plutôt que de vivre l’instant. Nous accumulons, comptons les réussites, les bonnes notes, les kilos que l’on prend et les batailles que l’on perd. On veut satisfaire ses bons plaisirs et on tire la couverture à soi en tirant sur les ficelles en cherchant un équilibre sur une corde raide. Mais est-ce que nos peurs valent à ce point la peine pour exiger aussi peu de nous-mêmes ?
Le monde est en perpétuel mouvement alors chercher la stabilité, la sécurité n’est il pas une course à l’aveuglette vouée à l’échec ?
Dire « je te promets« , « toujours » , signé un contrat à durée indéterminée n’est ce pas déjà mentir quand on ne sait pas de quoi demain sera fait ?
Je crois que c’est pour cette raison que j’ai toujours été sur la réserve dès lors qu’il s’agissait d’engagement. Je n’ai pas tellement la notion de la dévotion et je déteste ne pas être au rendez-vous de mes promesses. J’ai toujours eu besoin qu’on me donne le temps d’apprivoiser, d’observer, de gérer… pour ne pas paniquer, me sentir prise dans les cordes, étouffer.
Mais voilà, là-bas, j’ai trouvé la formule pour apprendre à gérer tout ça.
Elle se résume en un « Inch’allah » !
Mais attention inch’allah ne veut pas dire être laxiste, désengagé, fataliste, ce n’est pas prendre tout par-dessus la jambe ou dire des choses en l’air. C’est même tout le contraire. Inch’Allah c’est être là. Au présent. Maintenant.
Dire Inch’Allah c’est affirmer « j’en ai envie, c’est l’idée, le projet, je vais tout faire pour, m’engager, m’investir, m’impliquer, construire » et puis s’adapter, laisser les choses être et aller, prendre forme.
Dire Inch’Allah c’est demander « Je n’ai aucune idée de ce qu’on sera, du genre de vie qu’on aura. Tout ce que je sais, c’est que je veux passer du temps avec toi, alors on fait quoi ? » et s’accorder du temps, des moments, se créer des souvenirs, se laisser « être » seul-e et ensemble à la fois, mais sans jamais rien promettre ; se toucher, se taire, s’embrasser qu’importe l’avenir, on ne le connait pas et RIRE (oui rire ! Riez bordel. Soyez légers , emportés)
Dire Inch’Allah c’est aussi parfois lâcher, partir et se dire que dans la vie les choses, les relations prennent toujours la forme qu’elles doivent prendre. Seules. Un jour. Parce que quand on a un lien avec quelqu’un, ça ne disparaît jamais vraiment. On redevient vite important l’un pour l’autre. Parce qu’on l’est encore. Quand on l’est, Quand on doit l’être. Peut-être … Inch’allah qui vivra verra …
Inch’Allah c’est faire des efforts, sans jamais se promettre le confort d’un toujours, sans jamais mettre sous cloche, en cage, dans des cases ou des bocaux de formol. Faire les choses sans jamais les étiqueter. C’est vivre l’indéterminé sans le signer. Ne jamais rien prendre pour acquis, surtout pas l’acquêt (blague de juriste. Sorry).
C’est ne pas imposer ses temporalités mutuelles, Attendre la belle. S’il y a match elle aura lieu.
Inch’Allah c’est respecter la liberté de l’autre.
C’est avancer pas à pas. Explorer. (se) découvrir. Plonger.
A Marrakech, il n’y a que les fruits que l’on presse et, moi, je ne veux pas presser mon monde. Je préfère prendre mon temps quitte à être en retard au rendez-vous d’après parce que j’ai accordé le temps qu’il fallait à celui d’avant.
C’est pour ça que j’ai tout coupé : pour aller chercher au plus fort de ce que j’avais la définition de mon projet. C’est pour cela que je suis partie loin, pour chercher la confiance, l’audace, l’entrain de réaliser, de concrétiser, d’oser.
Et maintenant me revoilà et ça y est, je mets tout en vente : l’appartement, le cœur, je laisse le passé derrière moi.
Et maintenant me voilà avec mon bébé de projet dans les bras. Soyez tolérants et tolérantes – s’il vous plait – et prenez le temps de le découvrir pas après pas ; il va grandir et ON vous le dira … je serai au rendez-vous de mes promesses et j’espère que vous serez là.