L’art de recevoir

L’art de recevoir

Et c’est reparti pour la bamboche.

C’est reparti pour les cinoches.

C’est reparti pour la culture, le théâtre et les musées ; les réceptions, les expositions et les invitations !

Les rideaux sont levés, les portes sont ouvertes, c’est la fête ! Présentement, je suis assise en terrasse, j’ai commandé un cappuccino au Café du commerce et on me l’a servi dans une tasse. C’te classe.

J’ai fait ma photo d’instagrammeuse un brin pétasse comme diraient les rageux (quoi on dit des haters ?) La vérité : je suis à deux doigts de pleurer. Mais non ! Non, je ne vais pas pleurer parce que tout autour, partout, je ne vois que des sourires et des gens heureux ! La vie est belle. Elle reprend son cours … l’Art de vivre à la française reprend ses droits … Ici et là, je croise mes restaurateurs préférés : de l’Artnoa à la Chistera, du « Rendez-vous des halles » au « Bar du marché », au « Classique », à « Chéri Bibi », à « Etxola », ou à « Olatua » la rengaine est la même :

« Nous sommes ravis de vous retrouver, vous nous avez manqué ».

Tout un art de recevoir !

J’ouvre le journal

Café-terrasse-journal-ticket-à-gratter :
mon classico retrouvé

Gros titre : 

 

Crise migratoire à la Ceuta !

Tout un art de recevoir…

Sarcastique vous dites ? !
Nope, je ne fume pas de clope donc être cynique n’aurait aucune allure et je pourrai pas me voir en peinture. En revanche, lorsqu’on jette en pâture 8 000 êtres humains dont environ 2 700 mineurs, j’ai tendance à avoir des hauts le cœur et à m’interroger.

Si vous vous dites que cet article est en train de partir en banane alors que vous pensiez que je vous parlerai chocolatine et crab-roll, rappelez-vous – petit 1 – que ma tête est un vrai panier de crabes et puis – petit 2 – soyez heureux, je vous sers sur un plateau un bon sujet à aborder pour terrasser vos partenaires de soirée sans parler du COVID (pas de négociation Michel, le sujet est chiant et dépassé désormais et on ne peut pas parler de cul tout le temps ! )

Donc … reprenons. L’art de recevoir. Donc.

Ce savoir-faire. Ce truc bien acquis ; très français. Dont on se gausse avec raison et fierté.
Mais ne serait-ce pas aussi un savoir-être qui se voudrait un peu universel mais qu’on aurait laissé à quai ? (vous l’avez ?)

Un concept qu’on nous aurait mal expliqué ?

L’art de recevoir mais l’art de recevoir quoi ? Qui ? Elle parle de quoi cette expression finalement bon-sang-de-bonsoir ?

L’art de recevoir :
– Les gens,
– L’amitié,
– L’amour,
– Les claques (ça va ensemble non ?),
– Les compliments,
– Les migrants …

J’ai été élevée selon la politique de la porte ouverte : chez moi on fait dans la générosité, la bonté vivante, bien pensante. On part du principe que quand il y en pour un, il y en a pour deux pour peu qu’on fasse de la place. Un peu. Je vous reparlerai de ma mère, ce sera sa fête bientôt. Mais du coup, la (bonne) éducation que j’ai reçue c’est que recevoir est un Art … qui s’apprend, s’entretient, s’apprécie …

Bon que ce soit clair je préfère recevoir les gens et l’amitié que des claques dans la face (même si je sais encaisser).  Les compliments c’est encore un peu compliqué : c’est comme les fleurs, on adore en recevoir mais on n’a jamais le bon vase pour les mettre. L’amour je ne suis pas sûre de toujours m’en apercevoir à temps (et souvent ça marche de pair avec une paire de claques dans la face donc bon pas chaude-chaude-le chat échaudée qui craint l’eau froide). Et les migrants … que ce soit clair, c’est ma colère.

Si parler des migrants c’est être chiant, je plaide coupable au nom d’un engagement qu’on ne m’enlèvera jamais parce que c’est ça l’humanité même si ça ne fait pas l’unanimité. Au Maroc, la pauvreté a flambé 7 fois il parait alors voir Luna qui embrasse et enlace un exilé parvenu à atteindre l’autre côté m’a bouleversée parce que, oui, avec empathie, je me mets à sa place et je me dis que nous sommes tous des exilé-es qui allons chercher un petit (ou grand) quelque chose qui manque et qui avons besoin parfois d’un câlin, de tendresse pour être rassuré-e après une traversée.

Si écrire tout ça c’est être bobo, gaucho, sentimentale, banale c’est faire dans le réducteur du débat parce que c’est plus compliqué que ça, j’assume faire en ce vendredi dans le texte vomi qui sort du cœur.

Souvent, on oppose donner et recevoir. Comme s’il s’agissait de gestes antinomiques. Contradictoires. Comme s’il y avait toujours deux camps : ceux qui offrent et ceux qui prennent …

Pourtant, quand je vois le sourire des restaurateurs et serveurs, j’ai l’impression qu’il y a dans « le joie-de-recevoir » un truc qui tient plus du plaisir d’offrir avec le sourire que de l’opposition de deux camps. Alors quoi ? Finalement ?

L’art de recevoir ce serait la capacité de donner mais aussi de dire OUI et d’accepter une main tendue ou perdue, un compliment ou un reproche ; que quelqu’un s’approche, s’accroche ? Ce serait savoir dresser une table et se mettre à table ? Ce serait avoir le cœur ouvert dans le même temps que les bras et les yeux ?

Moi si tu me poses la question je te réponds que c’est dire « Faites comme chez vous mais n’oubliez pas que vous êtes chez moi malgré tout « .

Cela fonctionne pour tout : Il faut savoir poser ses limites mais en principe elles n’ont pas besoin d’être écrites, dites, elles sont implicites, tiennent du respect du tout à chacun. Encore une fois question d’éducation.

Le problème avec la politique de la porte ouverte c’est que tu peux laisser à penser / croire que c’est un saloon où tout cowboy peut venir décrasser ses santiags sur ton tapis et vider ses cartouches chez toi. Alors politique de la porte ouverte, on dit oui mais au juste milieu : ni trop carpette ni trop farouche. 

T’as compris l’idée ? 

L'Amie

Merci l’Amie. Décidément, je l’aime ce café.

Je suppose que vous avez également compris l’idée Ami-es lectrices et lecteurs ? 

Pour boucler cet article convenablement, il me vient une phrase d’un artisan rencontré à Marrakech il y a deux ans. Je me baladais dans les Souks de la Médina les babouches assorties à djellaba en quête d’un miroir et je suis tombée sur Mahjoub qui pleurait. Il venait d’apprendre la perte d’un ami. Allez savoir pourquoi, je me suis assise avec lui. Nous avons pris le thé, papoté de la vie, de la mort, du temps qui passe et Mahjoub m’a dit une phrase lorsque je suis partie :

« Tu sais Mélanie, il faut donner pour recevoir dans la vie. »

Je vous laisse réfléchir la dessus, on vient de m’apporter ma tartine : Beurre demi-sel sans confiture.

© Source photos: 

Mel Lenormand

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