Formation Liberté !
« Ce qu’il est très important de dire c’est que un coussin est une journée de travail pour une brodeuse. »
Voilà; les bases sont posées: Un coussin, une journée, 24 heures, un tour du cadran qui démonte tous les préjugés sans chercher midi à 14 heures en prouvant qu’on peut faire les choses autrement et … avec le cœur.
Pour présenter CSAO, je pourrais ici vous parler de sa création en 1995, de son histoire, de l’engagement de Valérie Schlumberger, la maman de Ondine, de son amour pour le Sénégal, pour l’artisanat africain, de son sens de la dévotion et du don de soi… Mais tout cela ne serait que répétition et redite, je ne ferai pas mieux que ce qui est déjà raconté sur le site (www.CSAO.fr pour les curieux) et puis, pour tout vous dire, Forme Libre espère bien avoir l’occasion d’écrire sur Madame Valérie et sur sa vie dès lors qu’il sera de nouveau possible de « gagner » Gorée.
Nous parlerons donc du passé dans le futur et, présentement, je vais tenter de vous expliquer de fil en aiguille comment Ondine a réussi le pari de joindre le beau et le chic au responsable et éthique. Pour cela, je vous embarque à l’Atelier des Rêves, là où la liberté prend forme à coup de dé à coudre et d’huile de coude.
Les plus malins qui auront cliqué sur le ‘susmentionné’ lien auront lu que La Compagnie du Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest, la CSAO, fait dans la décoration éthique et l’artisanat d’Afrique. C’est un peu court jeune homme dirait Cyrano car sur la CSAO il y a tant de chose à dire en somme: Entreprise qui conçoit, réalise et commercialise des objets de décoration, elle réussit à marier tradition et artisanat africain avec le design contemporain en rendant le commerce éthique chic.
En parlant de tradition et de mariage, sachez qu’il était de bon ton, dans les années 70, en Afrique, d’offrir aux jeunes mariés une parure de lit brodée.
» Quand j’étais petite je me souviens des coussins, blancs, faits de tissus de mauvaise qualité et pas très jolis, sur lesquels il était écrit « mon chéri » « ma chérie » « doux rêves » « bonne nuit »; je me souviens que j’aimais lire ces messages avant de m’endormir… la broderie était grossière et peu raffinée mais il y avait derrière ces mots, une tradition, une manière de témoigner l’affection qui me plaisait «
Derrière ces confidences sur l’enfance, il y a l’idée première qui germe dans la tête de Ondine lorsqu’elle commence à dessiner des objets pour aider sa mère.
« J’avais envie de revaloriser la broderie, de la rendre plus délicate, raffinée et jolie afin de la mettre au goût du jour et de donner envie aux gens à Paris de mettre des coussins africains dans leur séjour. Finalement c’est lors d’une visite à la Maison Rose que le projet tel qu’il existe aujourd’hui à vue le jour. Ça a été une évidence. »
Quand la tradition et l’artisanat rencontre l’intelligence et l’élégance…
Il y a tant à dire sur la Maison Rose que j’ai presque honte d’oser résumer tout ce qui est fait au sein de cette structure d’accueil de femmes et d’enfants en situation de vulnérabilité ou victimes de violences en quelques mots…
Mais là encore, c’est une promesse, nous en reparlerons de cette Maison.
Ce que l’on peut dire c’est que, en son sein, des femmes, des filles enceintes, des mères seules viennent accoucher, trouver du réconfort, un support, un soutien… un foyer sur où se reconstruire après avoir vécu des choses très (très) dures.
En ce sens, les amis de la maison rose financent et conduisent des projets qui visent à accompagner et autonomiser ces femmes et enfants qui n’ont nulle part où aller de sorte à leur permettre de s’insérer ou de se réinsérer dans la société.
Et précisément, il existait au sein de la maison rose un atelier dans lequel la broderie était enseignée. Lorsque Ondine le visite, elle souhaite tout de suite que ce soit ces femmes abimées par les coups de la vie (au sens propre et au sens figuré), victimes d’exclusion sociale, qui réalisent ses créations.
« Tu sais la broderie est très proche de la méditation. C’est pour cette raison que la maison rose avait mis en place cet atelier. Dans cette maison tu rencontres des femmes qui ont des histoires dures, difficiles, violentes. Certaines de ces filles (ndrl les brodeuses) arrivaient enceintes après avoir été violées. Au Sénégal, l’avortement est un réel sujet… On parle donc de traumatismes lourds… qu’il faut réparer parce qu’il n’y a pas de fatalité. Broder chaque jour des pensées positives et des mots doux comme AMOUR, BONHEUR ou LIBERTE leur permet de se concentrer sur autre chose que la souffrance, de voir petit à petit la vie autrement, de se reconstruire et de la gagner cette liberté. C’est thérapeutique. »
Mais voilà au sein de ce premier atelier les « filles » – comme Ondine les appelle – sont « entre-elles » et « tu comprends, l’entre soi ne permet pas de sortir du tunnel, une fois la broderie finie tu te retrouves avec des filles qui ont vécu la même chose ou pire que toi… tu replonges donc dans la souffrance. Cela aide au début car cela permet d’extérioriser, de parler mais il faut sortir de ça à un moment donné parce que ça peut devenir lourd et empêcher d’avancer ».
Une des citations préférées de Ondine est « Ndank Ndank (Petit à Petit en wolof) l’oiseau fait son nid » … parce qu’il s’agit d’avancer, encore et toujours, pas après pas… vers la Liberté. Voilà pourquoi elle décide de monter un 2ème atelier à Dakar, puis un sur l’ile de Gorée, au sein desquels les femmes de la maison rose continuent d’être formées à la broderie au même titre et en même temps que d’autres femmes.
« Décrire les brodeuses comme des femmes traumatisées est réducteur;
certes il y a parmi les brodeuses de nombreuses histoires compliquées mais
toutes les brodeuses n’ont pas été violées ou violentées;
aujourd’hui elles doivent représenter 20% des filles… »
20%… 1 femme brodeuse sur 5. Pas la majorité; certes; mais une de trop. D’autant que parmi les 80% autres il y a des mères célibataires, des jeunes filles qui n’ont pas eu la possibilité (ou le droit) d’aller à l’école, des veuves… Bref, des femmes qui ont décidé de broder tous les jours le mot LIBERTE après s’être formées pour s’émanciper de ce que la vie leur avait mis comme condition, pour gagner leur indépendance… Parce que, lorsqu’on n’a pas de chance, lorsqu’on n’est pas bien nées, il ne reste qu’à puiser dans ses blessures et ses ressources la force et l’impertinence d’avancer et pourquoi pas d’être heureuses, enfin!
« Je refuse que l’on voit les filles comme des pauvres femmes!
Elles ne sont pas de pauvres femmes.
Elles sont courageuses, belles, fortes, volontaires et déterminées.
Elles sont le moteur de la famille.
Elles sont des reines. »
« L’Atelier des Rêves », le bien-nommé.
Mais attention à la méprise: il ne s’agit pas là d’une Association. La CSAO est bel et bien une entreprise et son cœur d’activité est de faire du commerce d’objets notamment des pièces d’ameublement (à la limite de l’œuvre d’art), des nattes colorées, des caisses en métal recyclées, de la vaisselle colorée … le tout réalisées par des artisans dans le respect le plus strict des savoir-faire de l’Ouest africain. Simplement, cette entreprise là a décidé de faire les choses « autrement » et prouve, de par ses années d’existence, qu’un tel projet n’est pas une lubie ou une folie d’idéalistes rassemblés.
Aujourd’hui, en plus des artisans, environ 150 femmes apprennent la broderie et réalisent les coussins, cabas, vestes, tee-shirt que Ondine pense, dessine et conçoit elle-même à partir de tissus wax traditionnels que Ondine chine (là encore) elle-même ou de tissus de première qualité importés de France ou d’Angleterre (comme le fameux Liberty londonien). Elles travaillent au sein des ateliers ou de chez elles selon leur situation personnelle (et si Ondine avait inventé le télétravail?) et leurs réalisations leur permettent de gagner leur vie convenablement, parfois même d’atteindre un salaire équivalent à celui d’un professeur au Sénégal.
« C’est l’émancipation des femmes qui est en jeu ici. Avec leur salaire les filles aident la famille entière: elles financent l’école des enfants, les soins de santé de toute la famille, la nourriture, le logement… tout repose sur leurs épaules mais grâce à leur travail elles sont indépendantes et fières et font avancer les mentalités et la société. Au Sénégal , beaucoup d’hommes sont encore très…macho… ils refusent que les femmes travaillent et préfèrent qu’elles s’occupent des enfants, de la maison et des fourneaux. En devenant brodeuse à la CSAO, elles contribuent aux dépenses du foyer, accèdent à une autonomie financière ce qui change totalement leur statut: La femme forte qui travaille. Il en va du respect de toute une société. »
A ce propos, je tiens à ce que l’on joue FRANC jeu ici. Alors parlons flouze, poignon, argent un peu:
Prenons les fameux coussins vendus en moyenne 80 euros. « C’est un peu cher pour un coussin »… pourrait-on entendre ici ou là. Nous sommes d’accord 80 euros est une somme, mais dans ce coussin il y a :
– La matière première : des tissus de qualité qu’il faut chiner dans les marchés traditionnels ou acheminer jusqu’aux ateliers, les tirettes, les fils, l’intérieur des coussins… sans parler des machines et appareils.
– Le salaire des brodeuses ainsi que l’ensemble des charges liées à leur journée de travail notamment leur déjeuner, qui leur est chaque jour payé, et n’allez pas « bien-pensé » que « parce qu’il s’agit du Sénégal ça vaut trois copecs et coute que dal »
– Auxquels s’ajoutent les frais de transport, de douane, les charges liées à l’import/export… pour que les coussins parviennent à la Boutique située dans le Marais à Paris.
Ensuite, au 9 Rue d’Elzevir, Ondine et sa mini-équipe de 4 mains remplit les coussins et fait elle-même les cartons et les livraisons vers les boutiques partenaires.
Car, en effet, la plupart des produits sont vendus « en gros » comme on dit. Cela signifie qu’ils sont distribués au sein de boutiques de décoration qui collaborent avec la CSAO, faisant du bien en plus que de faire du beau.
(ndrl: si vous cherchez un point de vente près de chez vous, n’hésitez pas à nous envoyer un petit message, nous chercherons pour vous! Et prenez garde aux pales copies … franchement si vous nous lisez ici Jamini, vous n’avez pas honte?!).
Mais il y a aussi les collaborations avec des maisons de renom comme Le Bon Marché, Marin Montagut ou encore Sézane et Christian Louboutin qui a fortement contribué à la renommé de CSAO notamment avec cette pièce fabriquée en édition limitée, désormais collector, qu’est l’Africaba.
Pour la petite anecdote, cette collaboration a demandé près de trois années:
« Il s’agit d’un sac de créateur qui réclame un travail d’association de différents tissus wax et de broderies méticuleuses. Cela nous a pris des heures, des années de former les brodeuses à ce niveau d’exigence et de qualité. Il leur a fallu s’approprier la calligraphie de Christian Louboutin, ce qui est extrêmement difficile à réaliser, d’autant qu’il y avait un écusson avec les initiales CL… c’était une sacrée aventure mais tellement riche pour nous comme pour elles. Il nous a fallu trois années pour parvenir à un prototype. Un travail d’orfèvre, du sur-mesure mais ce qu’elles étaient fières ! Et moi donc ! Aujourd’hui la CSAO peut affirmer travailler avec celles qui comptent parmi les meilleures brodeuses d’Afrique. »
Formation, Réalisation, Fierté, Liberté.
« Ces collaborations sont très importantes pour nous mais surtout pour les Associations qui sont liées à la CSAO. Parce que si nous leur reversons une grosse partie de notre chiffre d’affaires, elles ont également besoin de subventions et de dons venus des marques avec lesquelles nous collaborons. »
Ainsi lorsque la CSAO collabore avec des grandes marques, elle ne gagne pas de l’or. Ce n’est pas l’objectif: Les collaborations vont au-delà de la simple conception en partenariat de vêtements ou d’accessoires de maison.
A titre d’exemple et pour ne citer que celui-ci, la donation de la marque Sézane via le programme Demain a permis de financer le quotidien d’enfants au delà du surlendemain, justement!
C’est ici que se boucle la boucle : CSAO est intimement liée à ASAO, Keur Khadija, l’Empire des enfants … en plus que de la maison rose dont nous avons parlée. Intimement car toutes ces dynamiques d’entraide et d’humanité sont nées de l’initiative de Valérie Schlumberger, la maman. La CSAO est donc la locomotive qui permet à tout ce microcosme de fonctionner.
Malgré tout pour que vive ce petit monde, CSAO ne peut tout reverser de ses chiffres d’affaires et bénéfices car il lui faut bien aussi fonctionner elle-même : comme toute entreprise elle doit payer les fournisseurs, les salariés, assurer sa comptabilité, anticiper les aléas du marché et de la vie … les augmentations de frais de douane et des prix, les inflations et interruptions d’activité … comme cette année.
Bien que là je ne sois pas précise car les petites fourmis de CSAO n’ont jamais cessé de travailler: Covid ou pas, on brode à Gorée ! Mais les produits sont bloqués, les frais de douane ont explosé, Ondine ne peut plus voyager… sans faire de mélo parce que ce n’est pas le genre de la maison, ce n’est pas vraiment la fête d’autant que Gorée est confinée. 1800 personnes sur une toute petite île qui vit majoritairement du tourisme dont elle est privée… 1800 personnes qui se retrouvent, comme beaucoup de part le monde, dans une situation… compliquée. Mais c’est un autre sujet, une autre question…
Pour la CSAO, il s’agit de rester à flot. De continuer à voguer, contre vents et marées et de montrer le cap. Parce qu’au jeu du Cap ou Pas Cap d’inventer le monde de demain, la CSAO a déjà plusieurs coudées d’avance et a ouvert le chemin. Il suffit désormais de prendre exemple, de prendre la vague et de retisser le monde dans son sillage à son image.
Ondine Saglio ne fait pas moins de 4 métiers différents au quotidien au sein de la CSAO. Etre au four et au moulin est son quotidien mais les moulins de son cœur ont des raisons que la raison ne peut ignorer.
Ondine ne se contente pas d’être une femme de cœur – ce qui aurait déjà été pas mal – elle est aussi une femme de faire.
Avec de l’énergie, de la volonté à la limite de l’acharnement, une détermination sans faille et un cœur gros comme ça, Ondine nous montre la voie et nous rappelle qu’à cœur vaillant rien d’impossible, qu’on peut faire des miracles avec la foi, tant qu’on y croit, qu’on garde le cap et qu’on ne perd pas le fil et surtout surtout qu’on a une vision, qu’on ne se fait jamais une raison.
« Je ne sais pas donner d’ordres, je hais les positions hiérarchiques, les postures d’autorité et de supériorité. Nous devons tous participer, contribuer. Il y a tant de choses à faire, c’est sans fin! Mais ça vaut le coup. Quand je suis à Gorée et que je vois les filles broder, que leurs enfants passent les voir pour un câlin ou pour le goûter et que je vois leur fierté à la fin de la journée, je sais que nous ne faisons pas tout ça pour rien ».
Alors… Et si nous aussi nous décidions de filer un coup de main pour, ensemble, créer le monde de demain?
Depuis mes discussions avec Ondine je sais désormais que l’optimisme est une arme contre le fatalisme et l’à-quoi-bon, qu’on peut être un marchand de rêve… en vrai, dans la réalité.
Que le commerce éthique et responsable n’est pas de la science fiction.
Que nous pouvons tous participer, nous mettre en ordre de marche.
Qu’il suffit juste de modifier deux trois petits trucs dans nos modes de consommation. Un battement d’aile de papillon… pour une révolution.
« Ndank Ndank l’oiseau fait son nid » …
Ndank Ndank Ondine répand ses bonnes énergies:
du BONHEUR à coup de mots d’AMOUR au service de la LIBERTE.
Merci & Bisous Gorée !