Notre putain d’affaire à tou-tes-s !
Elle est plutôt jolie. Elle a les cheveux mi-longs, bouclés, blonds coupés à la lionne, elle porte des lunettes et a un sacré port de tête.
Qui est-ce ?
Elle s’appelle Nathalie.
On dit d’elle qu’elle est gentille, généreuse, toujours prête à aider la communauté, maline. Faut dire qu’elle travaille au service social de la ville, à celui de la culture aussi.
Elle a bien réussi.
D’ailleurs, elle sourit, elle rit des blagues de son mari. Ensemble, ils ont deux enfants qui se marrent tout le temps, ils partent au ski l’hiver et l’été … bah ils habitent déjà près de la mer. Ils sont tous blonds. La photo est parfaite.
Parfaite.
Bon, le mari en question fait quand même des blagues un peu limites parfois, il est colérique et s’emporte facilement, sur un terrain il peut être facilement violent mais il est tellement sympa ! Et puis Nathalie est là pour le calmer. Elle y arrive à chaque fois.
Il est dur avec son ainée quand même. C’est pas donné à tout le monde d’être pédagogue, vous me direz. C’est bien pour ça qu’il y a des profs, des entraineurs et des formateurs. Et puis il a douillé dans son enfance, c’est un écorché, du coup il fait ce qu’il peut. C’est sa manière à lui de s’en occuper.
C’est pas rare qu’il gueule le soir quand même mais bon ils sont bons copains avec les voisins.
Mais tout de même Nathalie change régulièrement de lunettes. La coquette.
…
Elle chute souvent dans l’escalier, se brule, se cogne. La maladroite.
Elle est quand même sacrément embêtée par sa vue mais c’est depuis gamine qu’elle est myope et astigmate …
J’avais 6 ans.
J’avais 6 ans et j’entendais que mon père était peu patient mais doué de ses mains, bon bricoleur et bon farceur ; pas commode mais brut de décoffrage et qu’il fallait juste que je sois sage. J’étais pas chiante, je me contentais de faire ce qu’il voulait : courir au stade en tenant les temps imposés, apprendre à skier en 1h et demi et quand je n’y arrivais pas … maman me rassurait. Maman Nath.
Enfin Nath fallait pas trop la chauffer quand même. Au premier planté de bâton, j’ai fini à l’école de ski et … au premier lancé de nain (je parle de mon frère), elle s’est barrée.
Nathalie elle pouvait encaisser, serrer les dents et sourire, scotcher ses lunettes et la communauté à ne rien dire mais fallait pas toucher à sa couvée. Coupe à la lionne et mental de louve.
Nathalie est partie. Enfin non, elle a foutu dehors son connard de mari.
Quand même, elle ne lui a donné aucune 2ème chance, elle est dure ! Elle a surement rencontré quelqu’un ! La garce ! On l’a croisé en plus , Il a l’air si triste ! Puis il parait que les gamins ne veulent plus le voir. Le pauvre.
Le pauvre !
Pauvre boxeur privé de punching ball. Pauvre petit dictateur privé de souffre douleurs.
Pauvre mari et père pervers qui n’a plus rien à traumatiser, humilier, terroriser.
Mais quand même, franchement, vous y croyez vous qu’il la battait ? En même temps, si elle a été assez conne pour accepter la première gifle, faut pas s’étonner qu’il recommence.
La conne.
Souvenirs d’enfance. Nous sommes 26 ans plus tard et si le cauchemar de ma mère appartient au passé parce qu’elle a eu le courage de s’en aller, en ce samedi 15 janvier, sept femmes sont déjà décédées sous les coups de leur mari parce que NOUS n’avons pas sur les protéger.
Ce n’est pas notre affaire, vous me direz ?
Ouai les voisins de ma mère disaient ça aussi, tout comme la tenancière du café du village (elle se tapait mon père en même temps, alors elle, elle savait qu’il était doux, le volage), les collègues, les amis … toutes celles et ceux qui ne prennent pas parti et qui préféraient détourner le regard plutôt que de voir la vérité en face : ce n’est pas une expression d’amour passionnel d’avoir un cocard sur la face !
Non, C’est notre putain d’affaire à tou-te-s !
« La lutte contre les violences faites aux femmes (et aux enfants) ne se limite pas au bureau moche du flic qui prend la plainte (si tant est qu’il la prenne), c’est un chantier dont nous sommes tous les petites mains. » a écrit Laura (A lire : « la conne » sur MAAG). Et c’est ça : C’est souvent sur la place publique que tout se joue, au sein de la communauté qu’une personne victime de violence va se sentir à l’aise ou non de parler. C’est à nous d’écouter.
Parce que La clef est là : être à l’écoute même quand la personne se tait.
Et la croire.
Même quand c’est surprenant, choquant, bouleversant, impensable, incroyable… Incroyable justement. Parce que de toute façon, rationnellement, raisonnablement c’est impensable, incroyable et tout ce qu’on veut de frapper sa femme et de la couvrir de bleus ! Et que si un jour vous vous êtes dit « oh finalement ça ne m’étonne pas tant que ça qu’il uppercute sa femme lui » c’est déjà que vous êtes dans la catégorie des faux aveugles, des sourds occasionnels, des immobiles. De ceux qui savent mais qui se taisent.
Nous, ici, on a décidé de faire du bruit.
Nous, ici, on te croit.
On s’appelle Nathalie, Mélanie, Laura et aujourd’hui nous voulions toutes les trois (te) rappeler ça : Tu n’es pas conne. Pas faible, pas idiote, pas condamnée. Pas seule. Non, tu n’es pas seule.
Forme Libre est, depuis décembre, une association engagée, une zone franche d’expressions libres. Tu peux tout nous dire, tout nous confier, parler et, c’est promis, on va t’aider. Que tu sois ici ou là …
Tu n’es pas seule.
Il y a aussi Mel, Marie, Charlotte, Ondine, toutes ces formes libres qui seront prêtes à t’écouter, à te croire, à t’accompagner.
Ici on ne ferme pas les yeux, on s’organise, on fait ce qu’on peut parce que trop c’est trop et qu’il est grand temps que ça bouge.
Et on va bouger.
Ma mère n’était pas conne.
Ma mère était fière. Pas le genre à se plaindre sur la place publique.
Chez nous on est pudiques.
Et pourtant ce matin quand, indignée, j’ai partagé la publication de « Noustoutes » elle a répondu :
« Je n’aime pas ressasser le passé, je ne suis pas un exemple, je pars du principe qu’on peut s’engager sans expliquer pourquoi on le fait mais quand le passé devient le présent, quand finalement, des années après je vois que rien n’a changé, évolué, je bous de l’intérieur en tant que femme et en tant que maman j’ai mal au cœur. Ma puce, je sais que ça te démange depuis un moment, vas-y écris, fais du bruit, raconte, dis à ces femmes qu’on est là, qu’on va bien, qu’il y a une vie après, que tout peut aller bien. Si elles partent. Parce que si elles restent, alors ça n’ira pas. Ca finira mal. Dis leur ».
Maman je suis fière de toi.
Merci d’avoir sauvé ta vie parce que depuis bordel ce que la vie est belle !
EN CAS D’URGENCE
Appelez la police au 17
Si vous ne pouvez pas parler, envoyez un SMS au 114
Vous pouvez discuter avec la police de manière anonyme, 24h sur 24h sur https://www.service-public.fr/cmi
Il existe deux numéros dédiés pour les femmes victimes :
Le 3919, du lundi au dimanche, 9h-19h
Viols Femmes Informations 0 800 05 95 95, du lundi au vendredi, 10h-19h
Allez suivre noustoutes.org
Taboues, plus rares, les violences conjugales subies par les hommes existent aussi. Et sa proportion, bien que très inférieure à celle des violences faites aux femmes, est loin d’être dérisoire. Soyons aussi vigilants pour eux.